
Trois balles suffisent.
Il existe tellement de manières de mourir.
Chaque jour nous offre dix possibilités et autant de prétextes.
On meurt souvent de la haine des autres, de leur colère, de leur jalousie.
Tant de criminels qui s’ignorent
Déambulent dans nos villes.
Il suffit de trois balles tirées à bout portant, en plein front,
Pour mettre un terme irrévocable à tout projet humain.
Mais, il y a une manière plus sûre encore !
Elle arrête net les anges, les lutins, les troubadours et les elfes
Si peu sensibles d’ordinaire à toute artillerie lourde.
Je parle de la seule manière connue et efficace
Qui parvienne à pétrifier tous ceux qui sont amoureux de beauté,
Touchés en plein vol par les menaces joyeuses d’une brise de printemps,
Ebouriffés de peur face à la salve dévastatrice d’un rire d’enfant.
Ne respectant comme loi que le règne de la poudre d’escampette
N’acceptant que l’arc de Cupidon comme unique suzerain.
Il suffit de trois flèches décochées en plein cœur, avant toute esquive.
Comme ces trois phrases trempées de curare
Qui viennent de se planter en moi, ce matin même
Toutes vibrantes encore de la sensibilité de l’archer
Dont je devine le caractère, le visage et le nom.
Du sifflement du vent dans leurs plumes gouvernail
Jusqu’à leur tremblotement épousant les battements de mon coeur
Ces trois projectiles m’étaient évidemment destinés.
Chaque pulsation dactylographie le nom de l’archer: Christian Bobin.
« Tous nos spectacles se jouent sur une tombe. »
« Parfois quelqu’un vous donne à manger en une seconde pour votre vie entière. »
« Si nous avions le dixième de l’attention qu’a le chat pour le vol de la mouche –
le monde serait sauvé. »
Ce matin, pendant sept courtes secondes,
A peine le temps d’apercevoir ces trois flèches jaillir des brumes du sommeil
Et de les sentir me transpercer, me foudroyer de justesse,
J’ai compris que j’étais mort, cloué au pilori de l’aérienne et tranchante vérité.
Christian Bobin est un tueur à gage et ça n’engage que moi.