
Un homme en cavale.
J’ai croisé tant d’hommes à la dentition déformée par le mors invisible qu’ils se sont laissés mettre à leur insu.
J’ai vu tant de mes frères de sang le dos zébré par les rênes cinglantes de leurs maîtres impérieux et anonymes.
J’ai connu trop de pères courbant l’échine de l’aube à la nuit, désenchantés et las de tirer le fardeau de leur vie de déveine.
J’ai gambadé toute ma vie dans les plaines sauvages, au galop de ma folle liberté, évitant soigneusement vos pâturages sages, vos rêves de clôtures et vos routes rectilignes, vos villages sinistres.
Sagittaire ascendant Sagittaire, j’allais au gré du vent, suivant la trajectoire de ma flèche qui précédait l’arc-en-ciel, de sa plume empourprée de couleurs.
Combien d’hommes-cheval, d’étalons domestiques, de canassons résignés ai-je croisés durant mes pérégrinations ?
J’ai compté sur leurs flancs esquintés plus de plaies à vif que l’on peut dénombrer d’étoiles dans le ciel de vos villes blafardes, de vos loisirs morts.
J’ai vu, mes frères, dans vos yeux éteins la lueur disparue de vos rêves de pur-sang.
Dans vos haras nationaux comme aux comptoirs des bars, vous me parliez de poulains en devenir, de vos combats de destriers et de vos pouliches désirables.
Mais au petit matin, vous rentriez au pas titubant, endosser vos habits de bourrins en vous résignant après avoir noyer vos joies dans des bouteilles vides de mélancolie.