On prend un café ?

Bien sûr, on peut boire un café très simplement, sans cérémonial, presque machinalement, en pénétrant dans un café et en commandant au serveur ce breuvage revigorant, qui est le second breuvage le plus bu au monde, après l’eau.

On peut aussi participer de manière anonyme et discrète, sans trop se poser de questions, à la grande consécration quotidienne de cet élixir qui cumule plus de 2,6 milliards de tasses chaque jour dans le monde.

On peut également savourer lentement son café, après avoir fait son plein d’essence (avec tant de difficulté, dans une station-service qui découvre la pénurie de carburant) en songeant que le café est la seconde matière première la plus commercialisée au monde après le pétrole! En ces temps difficiles où les consommateurs font la queue durant des heures pour remplir leur réservoir, Total, Esso et les autres pourvoyeurs d’une planète à feu et à sang devraient offrir aux automobilistes les plus méritants des gobelets fumants, emplis de cet or noir et savoureux qui provient des lointains horizons: 70% du café mondialement consommé provient d’Amérique du Sud. Il représente 10% du PIB du Brésil que j’arpente depuis 3 mois. 50% du PIB de l’Éthiopie, à qui l’on doit la paternité de ce breuvage, repose sur le café.

Bien sûr, on peut démarrer sa journée en percolant ou en filtrant la poudre brune et odorante sans trop s’interroger sur sa provenance ou ses vertus. On peut se satisfaire aussi de jeter une once d’eau bouillante sur des grains lyophilisés dormant au fond d’une tasse, dont l’emballage vante les mérites du café instantané, piètre privilège des nomades, des incultes ou des empressés. Peu importe l’élixir, seule compte l’ivresse ou l’effet procuré, finalement… 

Enfin, on peut se contenter de glisser machinalement une capsule colorée dans une luxueuse machine qui se chargera d’organiser un défilé de saveurs sur le podium de nos petits matins blêmes, laissant à une marque industrielle le soin de nous apporter à domicile, au fond de nos cuisines suréquipées, cet ultime nectar de la mondialisation. 

What else ? comme dirait l’ami Georges…

Bref, mille manières de s’adonner à cette douce drogue quotidienne à qui l’on confère la responsabilité de mettre l’humanité en marche et de lui donner quelques coups de fouet revigorants, quand cela s’avère nécessaire.

Mais on peut aussi, lorsqu’on a le temps et un soupçon de curiosité, en empruntant avec lenteur des chemins de traverse dans l’un des principaux pays producteur, faire la connaissance de Teresa, ancienne journaliste brésilienne et grande connaisseuse des arcanes de la vie, du haut de son âge vénérable. On peut accepter de se laisser guider, d’être invité par surprise, avec une gentillesse magnifiquement entremêlée de générosité, à visiter deux fazendas (l’équivalent portugais des haciendas d’Amérique latine, exploitations agricoles qui cultivent la terre et l’art de vivre, sans parvenir à les distinguer).

Rêvant d’un café, on peut donc suivre aveuglément cette amie du coin et du meilleur cru, se laisser mener avec confiance par le bout du nez (la vie n’est-elle pas, en définitive, qu’un long chemin parsemé de rencontres, d’imprévus et de confiance en l’avenir?), au travers d’explications sur l’histoire du Brésil et de ce coin de terre, Bragança Paulista, au nord de São Paulo. 

On peut se garer à la Fazenda Bocaina, faire quelques pas et rencontrer l’heureuse l’âme ouvrière de cette propriété exceptionnelle, sublime dans son écrin de verdure, Antonio Basile, propriétaire terrien et entrepreneur âgé de 95 ans. Don Antonio a la démarche aussi lente que ses yeux sont vifs. Ingénieur agronome de formation, issu d’une famille d’industriels de São Paulo, il ne put résister à l’appel de la terre et au chant du café, qui le poussèrent à acheter quelques hectares en 1963, puis à devenir l’un des producteurs brésilien de café les plus respectés.

A défaut de trouver le serveur derrière le bar pour lui commander d’un air empressé « un serré », n’osant plus dire « un petit noir », on se contente de suivre avec bonheur, le Senhor Antonio, à pas de sénateur, devisant sur la vie et nous expliquant l’histoire de cette exploitation, évoquant les dynasties d’exploitants qui l’ont précédé. Car on a beau être fier de son pedigree et du chemin parcouru, on sait quand on est animé par une noblesse de cœur, plus que de cour, que l’on n’est finalement qu’un bref instant, peut être scintillant mais fugace, de la grande histoire des hommes, comme l’étoile qui sait qu’elle n’est que filante dans l’éternelle histoire de l’Univers. 

On suit alors notre guide avec une furieuse envie de café dont on dissèque l’histoire mais dont on rêve du goût. La maison, construite en 1855, est une splendeur qui me donnerait presque des ambitions de propriétaire terrien. Nous visitons la cuisine, nous attardant sur la cuisinière qui fonctionne toujours au feu de bois, puis l’office et son impressionnante batterie de casseroles qui a dû voir défiler des milliers de diners, plus ou moins officiels. Vient ensuite la salle à manger, la salle de réception puis le grand salon encombré d’objets et conservant toute l’histoire des lieux. Le minimaliste que je suis devenu est étonné de l’encombrement de ce lieu chargé de souvenirs, comme toute les vieilles maisons où les propriétaire successifs ont accumulé des preuves de leur vie désormais évanouie. Léger comme l’air, je m’esbaudis de tant d’histoire mais ne rêve en réalité que d’une tasse de café qui condenserait à elle seule, tout l’orgueil et le savoir-faire de ces vénérables générations.

Après nous avoir « fait la visite », avec moults anecdotes croustillantes, don Antonio, qui est aussi le Président de l’association des producteurs de café, nous invite sur la terrasse, en forme de coursive qui fait tout le tour de sa vénérable maison, pour déguster le breuvage tant attendu, et converser. Car en ces tropiques, avec la vue infinie sur l’horizon, le respect de l’autre et de son histoire, l’art de la conversation existent encore. 

En entrant dans cette propriété, frappé par le silence et la splendeur de tous points de vue, je su que je courtisais les dieux et les raisons pour lesquelles je voyageais avec autant d’obstination. En posant mes lèvres sur la tasse en porcelaine, en laissant le breuvage savamment préparé s’emparer de mon palais, je sus que je tutoyais le bonheur, sans fard, vif, ancestral, comme une récompense longtemps espérée après tous ces efforts pour devenir un bien vivant. 

Après avoir pris congé de Don Antonio, nous primes plaisir à saluer son fils Eugênio, producteur de miel, sincère et passionnant, à le remercier aussi pour cette conversation prolifique en « portugnol » (mélange subtil et improvisé de portugais et d’espagnol) sur la préservation de la planète, la disparition des abeilles et l’élection présidentielle qui risquait de prolonger la catastrophe écologique, en renouvelant le mandat de Bolsonaro.

Il ne restait plus qu’à rejoindre une autre propriété, dirigée par José Oscar Cintra Ferreira, un ancien publicitaire, fin et adorable mais beaucoup plus « artiste » dans sa manière d’exploiter une terre. Une heure passée à écouter cet humain d’une gentillesse confondante et apprendre la torréfaction du café fut un régal et une belle expérience.

Quelle journée ! Quelles rencontres ! Quelle subtile découverte de la culture véritable du café. Merci Teresa, de m’avoir si bien reçu…

On entre parfois dans un bar, encombré de regrets et de projets d’avenir, en lançant machinalement, « un café ! ». Mais on ignore, en ces instants où l’on n’est guère soi-même, peu à l’écoute de nos voix intérieures et encore plus sourd au monde qui se joue, que des milliers d’hommes s’échinent, partout dans le monde, à faire que quelques gouttes bon marché et si vite avalées soient une preuve d’humanité et un subtil lien entre toutes les nations. Si l’on était attentif à nos vies, on découvrirait sans doute que le café du coin est plus essentiel à cette planète que toute l’Organisation des Nations Unies.

Vous prendrez bien un petit café ?

Je laisse le mot de la fin, qui est désormais une tradition de mes chroniques du bout du monde, à l’inimitable Alphonse Allais qui définissait le café « comme un breuvage qui fait dormir, quand on n’en prend pas ! »

Publié par

Entrepreneur, écrivain et globe-trotter. L'homme le plus léger, le plus libre et le plus heureux du monde;-)

2 commentaires sur « On prend un café ? »

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