Il est temps de partir et de prendre la route vers les grands espaces. Première étape loin des émeutes: le magnifique petit pays du Lesotho, surnommé le « Royaume dans les cieux » parce qu’il est le plus haut pays du continent, havre de tranquillité totalement enclavé au milieu d’une Afrique du Sud enflammée par des émeutes.
Mais la partie va être serrée car comment circuler dans un pays et sortir de la province de Johannesburg quand les restrictions de circulation règnent, en cette période de couvre-feu renforcé, avec l’interdiction faite aux habitants de sortir ou de rentrer de la province pour cause de Coronavirus au sommet d’un nouveau pic.
Après avoir connu de forts mouvements sociaux et traversé des pays en révolte ou en crise violente: Équateur, Perou, Chili, Argentine, Sénégal et maintenant Afrique du Sud, je vais finir par penser que j’ai une part de responsabilité!
Plus sérieusement, mon tour du monde commence à ressembler à un périple au cœur d’une planète où le fameux « monde d’après » connaît un accouchement difficile, loin de nouveaux chemins « peace and love » dont certains, du fond de leur salon, se rêvent les artisans.
Certes, les notions de bienveillance, de gratitude et d’amour du prochain dont on se tartine sur les réseaux sociaux, à coup d’images alléchantes et de slogans bien pensants – visant à un développement personnel et à une quête légitime du bonheur, à une époque où la recherche de sens devient la quête du Graal – sont des axes bien tentants. Mais ils exonèrent ceux qui s’y complaisent de toute part de responsabilité dans la marche boiteuse du monde, optant pour un refuge commode souvent accompagné d’une attitude déconnectée des réalités ou totalement résignée, ou bien encore d’un « business as usual » fait de cynisme et de surdité face à la situation de la planète.
Le monde est en souffrance aiguë, les inégalités n’ont jamais été aussi vives, les enjeux d’avenir aussi cruciaux et avoir le privilège de voyager pour s’extasier devant les beautés de la planète, loin de la misère des hommes va devenir le nouveau luxe, un cas de conscience quotidien et un parcours du combattant.
Jamais l’équilibre nécessaire entre le collectif et l’individuel n’aura été aussi important pour trouver sa voie dans le vaste monde et entendre sa petite voix intérieure et salvatrice. Jamais le balancement, la respiration naturelle entre l’action extérieure et la paix intérieure n’aura été aussi essentielle.
Œuvrer à être heureux dans un monde à feu et à sang est sans doute l’un des principaux défis qui s’ouvre à moi, dans les prochains mois… Comment prendre ma part à préserver cette planète tout en œuvrant à soulager les maux de populations qui rêvent plus légitimement que d’autres du monde d’après, tant celui d’aujourd’hui ne leur laisse aucun espoir ?
To be or not to be, that’s the fucking question!
Les mots de la fin pour cette chronique au poète italien Cesare Pavese, auteur du « métier de vivre » et du magnifique recueil « la mort viendra et elle aura tes yeux. » :
« Tout voyage est une agression. Il vous contraint à faire confiance à des inconnus et à perdre de vue le confort familier du foyer et des amis, on est en perpétuel déséquilibre. On ne possède rien, en dehors de l’essentiel – l’air, le sommeil, les rêves, la mer, le ciel – toutes choses qui tendent à l’éternité ou du moins à ce que nous en imaginons. »
Oui, il est bien difficile de vouloir s’exonérer des mouvements rugueux du monde, sauf à s’enfermer dans une bulle plus ou moins opaque. C’est ce qui s’appelle le principe de réalité. Notre planète va mal, elle est en pleine déréliction. Mais je ne suis pas certain que cela soit propre à notre époque. Malcolm Lowry l’a si bien écrit : nous vivons tous au-dessous d’un volcan. Les aveugles ne le voient pas, les sourds ne l’entendent pas et les muets se taisent. Il reste aux fous, aux prophètes, aux poètes de voir, d’entendre et de dire. En chacun de nous sommeille un Ulysse qui dans la tempête espère toujours rejoindre Ithaque, car c’est là qu’habite sa Pénélope. Car, oui, peut-être, c’est l’amour qui sauvera le monde. Ou pas. René Char, que tu pratiques, nous a prévenu : « La lucidité est la blessure la plus proche du soleil ». Quant à moi, dans la littérature antique, je vénère deux figures féminines : Cassandre, la prophétesse que personne n’écoute, et Antigone – par dessus tout – parce qu’emmurée et condamnée à mourir par Créon, elle parvient à lui dire, à nous dire : »Je suis née pour l’amour et non pas pour la haine ». Ce qui, de mon point de vue donne suffisamment de courage pour marcher, avancer malgré tout « de la belle aube au triste soir ». Bon voyage inside et outside, cher Fred….
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Magnifique commentaire amigo Francisco! Cela mériterait une bonne soirée de discussion autour d’un feu de camp en plein bush, sous une voûte indécemment étoilée, un bon cigare et une bouteille de gnole pour nous donner du courage afin de repenser et rebâtir ce qui doit l’être…
Parfois je cède avec une coupable complaisance à la pensée suivante, qui est aussi un chemin pour supporter l’insupportable et éviter de camper trop longtemps dans l’esprit de révolte!
« Je me suis endurci, pour me protéger de la mesquinerie, et isolé, pour me préserver de la bêtise.
Une solitude altière, parfumée de poésie, voilà la vie qui m’est destinée. »
Ariya S.
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