
Comme je l’expliquai précédemment, j’ai déménagé et rendu l’appartement que je louais, rue de l’Université, dans le septième arrondissement de Paris, le 29 octobre dernier.
Déménager est sans doute le terme qui convient le moins bien à cet journée un peu folle où j’ai vu une escouade de gros bras débarquer de bon matin et s’activer pour emballer tous les meubles, protéger les canapés, démonter tout ce qui ne passait pas par l’étroit escalier de service, m’aider à mettre sur le trottoir tout ce que je n’étais pas parvenu à vendre ou à donner et récupérer pour eux-mêmes toutes les babioles dont je n’aurai plus usage et que je devrais jeter.
En fin de matinée, un ballet de camionnettes défila dans la petite rue qui jouxtait, en contrebas, les fenêtres du salon où un monte-charge était installé. Véhicules affrétés par les amis ou les inconnus qui s’étaient portés acquéreurs de tous les meubles et équipements domestiques dont je me débarrassai, que j’avais vendu pour une bouchée de pain ou offerts afin de liquider définitivement tout ce que je possédais et de faire place vide, laissant vacant cet appartement qui m’apparut soudainement immense, une fois vidé. Les déménageurs n’emportèrent que huit petits mètres cubes de choses personnelles que je souhaitais conserver dans un garde-meuble en banlieue : archives de mes sociétés, une dizaines de classeurs de papiers personnels ou indispensables, des souvenirs d’une existence évaporée dont la valeur était plus sentimentale qu’autre chose, quelques vêtements que je ne pouvais emporter à l’autre bout du monde et dont j’aurais sans doute besoin un jour sous d’autres latitudes et de rares objets qui me serviraient de talismans, sans doute pour me rappeler un jour, que j’avais eu jadis une autre vie que celle de vagabond.
Avant que les portes du camion ne se refermassent sur un demi-siècle de vie, je pris quelques secondes pour contempler ces huit petits mètres cubes. Ce n’était plus grand chose, matériellement, cinquante ans de vie : deux mètres de longueur, sur deux mètres de largeur et deux mètres de hauteur. Tout le reste, l’essentiel, ce qui prouvait que j’avais vécu était désormais dématérialisé, invisible, vaporeux et convocable à la demande d’un simple clic.
L’état des lieux fut une formalité. Je rendis les clés de l’appartement avec la même impression que doit éprouver un inspecteur de police désavoué, dans un polar hollywoodien, en rendant sa plaque et son arme à son supérieur mais, en ce qui me concernait, avec un grand sourire et un sentiment de légèreté retrouvée qui ne me quitterait plus !
M’étant délesté de tous mes véhicules, je sautais sur le scooter que m’avait prêté mon amie Valentine et rejoignait ma nouvelle demeure d’un soir. Ainsi, allaient s’enchainer huit soirées chaleureuses et surprenantes chez des amis qui s’étaient spontanément portés volontaires afin de m’héberger durant une nuit, avant le grand départ du 6 novembre.
Ces huit soirées, complices et fraternelles, furent riches de conversations, de confidences et de partage. Sans doute en raison de ce départ pour un voyage au long cours, furent-elles plus profondes et plus sincères que les dîners que l’on peut avoir avec des amis que l’on va revoir bientôt. Dans mon cas, sans le mentionner et sans me l’avouer à moi-même, nous savions que des mois, voire des années, allaient sans doute nous séparer… Ce fut donc des moments généreux et rares. Comme s’il fallait résolument disparaître pour que l’amitié la plus vive, dans ses instants d’authenticité et d’urgence à dire, se manifeste vraiment. L’approche de la mort et son ersatz le plus proche, c’est-à-dire le grand départ, l’absence de très longue durée, ont ce pouvoir magique de délier les langues, de célébrer la vie, de sceller les promesses de retrouvailles ou de retour, au Paradis de l’au-delà ou à l’autre bout du monde d’ici !
Ainsi, jusqu’au 6 novembre, jour de mon envol pour la Nouvelle-Calédonie, je déménageais chaque jour, comme un entrainement parisien et rassurant à la vie errante qui m’attendait. Je trimballais mon sac à roulettes qui pouvait se transformer, selon les besoins, en sac à dos d’une quinzaine de kilos et un petit sac qui contenait l’essentiel, mes papiers, mon ordinateur, quelques bricoles et le nécessaire du jour.
Chaque soir, je débarquais comme un voyageur en herbe chez un ou une de mes amis. La fête commençait, on m’attendait de pied ferme, les flacons se débouchaient et s’enchaînaient, les petits plats étaient mis dans les grands pour signifier l’admiration pour mon soi-disant courage ou célébrer ces années d’amitiés que nous n’avions pas vu passer, les discussions passionnées entremêlaient les anecdotes et les souvenirs, qui faisaient un peu office d’adieux, avec les projets de voyages, les spéculations sur ce que j’allais vivre et les vœux de retrouvailles dans un pays de rêve, qui constituaient nos prières de lendemains heureux.
Dans le taxi qui me mena à l’aéroport, le 6 novembre au matin, j’envoyai ce message à tous ces amis qui m’avaient ouvert leur appartement et concédé quelques heures de leur vie, ces moments rares et sincères qui me manqueraient quelques fois, durant les mois de voyage en solitaire. Ce furent des instants précieux, les derniers liens que j’entretins, avant de m’envoler, avec ce pays que j’aime profondément, avec cet échantillon d’amis qui donnent toute sa valeur à l’existence que j’ai menée et que j’emmènerai avec moi en des territoires et des temps inconnus !
« Queridos amigos!
Dans le taxi, en chemin vers une autre vie où tout sera à réinventer, je tenais à vous remercier pour votre accueil des derniers jours! Merci d’avoir pris le risque d’accueillir un migrant dans vos chambres d’amis, malgré le fait que ce soit répréhensible par la loi;-)
Merci de m’avoir régalé, abreuvé, encouragé et fait partager votre chaude amitié qui sera, sans nul doute, mon plus beau et sûr moyen de locomotion pour les années à venir.
Je vais intensifier ma vie, découvrir les trésors de cette terre accueillante, trésors qui se cachent souvent dans le cœur des hommes ou dans le charme d’une belle du bout du monde. Promis! Je ne me marierai plus;-)
Dans ce taxi qui file sans anicroche vers l’aéroport, je prends conscience que j’ai sacrément aimé ma première vie et que j’ai une chance inouïe de vous avoir comme amis.
J’espère que les Dieux seront cléments et inspirants avec le drôle d’oiseau qui se cache en moi.
Portez-vous bien et venez me rejoindre, un de ces quatre, à un carrefour de mon périple exploratoire.
Je vous communiquerai quelques moyens de vous associer à mes élucubrations littéraires et à mes ailes déployées.
À bientôt !