Je viens d’apprendre le décès d’un très bon ami, un homme au grand coeur. Ce coeur justement qu’il portait en bandoulière qui s’est brusquement arrêté, un soir, chez lui, seul, revenant d’un dîner amical.
Mon ami, Pierre Richard, infatigable entrepreneur et fondateur de l’Atelier du vin, aura désormais le temps de lire mes chroniques et de m’accompagner sur la selle arrière dans mes pérégrinations latines. C’est fou comme le temps se libère dès lors que l’on arrête de courir pour gagner vainement sa vie et qu’on profite de cette existence (ou dans le cas de Pierre de sa vie libérée) pour aller butiner ce que le monde nous offre à foison, dès lors qu’on apprend à le voir.
Drapé dans sa désormais parfaite invisibilité, il sera à mes côtés pour que l’on profite ensemble de cette vie si précieuse, qui se mesure en coups de coeur et en souffles coupés, devant l’invraisemblable beauté du monde.
Ce dimanche quelque peu assombri par cette triste et fraternelle disparition, vient conclure une semaine riche de kilomètres enluminés, de frôlements divins, de rencontres magnifiques. Les mots me manquent. On écrit mal les yeux embués. Place aux photos et au poète qui, loin de chercher à nous embobiner, nous replace dans notre humble mais essentiel rôle sur Terre : apprendre à vivre.
Vivre, avec cette élégance et cette soif dont Pierre était un orfèvre !
Bon vent mon ami !
« J’écris pour qu’on puisse à nouveau ressentir le frôlement de l’invisible dans le visible, ici-bas. Je ne dis pas qu’il y a un autre monde, je n’en sais rien, bien que j’en ai souvent le soupçon. Mais je dis qu’à l’intérieur de notre monde terrestre, il y a des choses à la fois faibles et immortelles, très précieuses, qui nous mettent leur main sur l’épaule et nous demandent de faire attention à nous. J’écris en espérant faire entendre cette parole que nous massacrons avec nos bruits, notre avidité et notre insensibilité grandissante. »
Christian Bobin




















