« La solitude me semble avoir plus d’apparence et de raison à ceux qui ont donné au monde leur âge plus actif et florissant, suivant l’exemple de Thalès. C’est assez vécu pour autrui ; vivons pour nous, au moins ce bout de vie : ramenons à nous et à notre aise nos pensées et nos intentions. Ce n’est pas une légère partie que de faire sûrement sa retraite : elle nous empêche assez, sans y mêler d’autres entreprises. Puisque Dieu nous donne loisir de disposer de notre délogement, préparons-nous-y ; plions bagage, prenons de bonne heure congé de la compagnie ; dépêtrons-nous de ces violentes prises qui nous engagent ailleurs et éloignent de nous.
Il faut dénouer ces obligations si fortes ; et meshui [désormais] aimer ceci et cela, mais n’épouser rien que soi : c’est-à-dire, le reste soit à nous, mais non pas joint et collé en façon qu’on ne le puisse déprendre sans nous écorcher, et arracher ensemble quelque pièce du nôtre. La plus grande chose du monde, c’est de savoir être à soi. »
Montaigne, Essais, De la solitude

























