C’est une expérience unique au monde que ces ultimes adieux aux Andes que je ne reverrai pas de sitôt, par cette route qui relie en tutoyant les cieux, Santiago du Chili et Mendoza en Argentine.
7h de traversée dans des paysages époustouflants, en prenant mon temps, m’arrêtant souvent pour contempler et ressentir l’énergie indéniable de ces géants de pierre qui surgissent sans cesse au détours d’un virage, aux confins d’une vallée, sertissant des fleuves asséchés mais dont le lit laisse deviner la fureur des crues…
À plus de 4000 mètres d’altitude, le carburateur de mon engin remis à neuf cherchait de l’air, toussotant parfois et ne manquant pas une occasion pour arrêter le moteur, comme pour mieux écouter ce silence minéral et imposant. Moi, les yeux brillants et le sourire aux lèvres, par solidarité avec ma sémillante moto, je me contentais d’avoir le souffle coupé, cherchant l’inspiration pour une future chronique. Mais les mots comme l’oxygène se faisaient rares et tournaient en boucle dans mon crâne, tout absorbé par le spectacle féerique qui surgissait devant moi, à chaque kilomètre.
Alors, en manque de “vocabu l’air”, je vous laisse sur ces quelques images qui rendent si peu compte de la magie andine et rabougrissent l’hommage que je dois à ces montagnes envoûtantes. Je passe donc la plume à un écrivain qu’il est urgent de découvrir, un véritable poète-manouche, qui roule magnifiquement sa bosse sur les monts les plus élevés de la poésie et de la langue française…
Voici quelques morceaux choisis de la plume inspirée de Jean-Marie Kerwich, tirés notamment du bien nommé “L’Évangile du gitan”. Bon voyage, bonne lecture…
“Je n’étais pas fait pour ce cirque planétaire. Je suis las d’être le commis de la poésie avec pour toute récompense d’être enfermé dans le tombeau d’un livre.”
« On dit que je suis poète : c’est une erreur, c’est mon âme qui tient par un fil à la boutonnière de mon vieux manteau »
“Moi, le livre errant, j’avais décidé de ne plus écrire, de mettre fin à cette lutte littéraire, sachant que les occidentaux ne savent plus lire, que seuls les intéressent les phrases qui portent des porte-jaretelles.”
“Moi, c’est Romanichello. Je ne suis ni poète ni philosophe. Juste un homme habitué à s’adosser aux arbres.”
« Que l’encre de ma plume me crache au visage si je n’écris pas la vérité »
« Je n’écrirai plus. Je réapprendrai à ne pas savoir écrire. Cette vie d’écriture ne fait pas partie de ma condition de nomade. Je ne suis pas fait pour la littérature. Je suis de la race des arbres, je crie avec le tonnerre quand il s’annonce. Je ne suis qu’un vagabond, un chiffonnier des mots qui ramasse des pensées enguenillées au bord du chemin de son âme. C’étaient les fleurs sauvages, les feuilles mortes, la pluie, le vent, les ronces et les arbres qui me demandaient de parler de leur vie. C’était une décision divine. Quand je rallumais mon feu de bois et me promenais dans des sentiers inconnus j’avais enfin appris à lire et à écrire. L’écriture était la roulotte où je vivais, mes poèmes étaient mes chevaux, mes pensées mes petites gitanes. Mais maintenant je dois retrouver ma vie nomade. Il est temps d’atteler mon coeur et de partir. »
“Aujourd’hui le vent a surpris les habitants et s’est adonné à ses folles bourrasques comme un vieux gitan en colère à qui on a refusé un emplacement pour sa roulotte. Alors j’ai réalisé à quel point je souffrais. Je souffre, tous souffrent, tous ces frères inconnus qui savent ce que je ressens, là où les inconditionnels de la bêtise festive, avec leur vie éphémère, ne comprennent rien. Je ne veux pas être l’ami de l’été, car la joie nous fait trop oublier la tristesse, cette tendre fille aux cheveux mouillés par la pluie, qui grelotte en regardant une église sourde-muette. S’il faut être heureux d’un bonheur idiot, il vaut mieux rester triste, car la tristesse est la seule à savoir nous consoler. On croit que les étoiles sont dans le ciel mais elles sont sous nos pas. On les écrase. Ce qu’on voit briller dans la nuit, ce sont leurs cris.”


























