
Une nouvelle nuit chavirée, perchée à trois mille huit-cents mètres d’altitude, à lutter avec la quadruple couverture recouvrant ce lit sans fioriture, unique mobilier de cette chambre glacée, avec comme seule lumière, cette lueur blafarde diffusée par un plafonnier se résumant à une simple ampoule.
Le son rapproché et lancinant des vagues, venues s’échouer sur la rive du lac Titicaca finit par me convaincre que le matin ne tolèrerait aucun ré-endormissement.
6h22 s’afficha sur l’écran de mon téléphone qui sembla, quant à lui, revigoré par cette nuit de recharge, reposé par l’absence de wifi et de nouvelles insignifiantes. Le monde attendrait. J’étais convoqué par le plus haut lac d’Amérique Latine, séance tenante.
Je m’habillai en vitesse et dégringolai le petit escalier qui donnait directement sur la longue plage de sable blanc.
Devant moi, des dizaines de mouettes flottaient sur l’eau, dessinant des notes blanches qui rebondissaient sur la portée des vagues.
L’une d’elles, qui venait de plus haut que le ciel, surgit en planant et rasa ses consœurs cherchant sa juste place dans cette partition lacustre.
Dans le lointain, les imposants massifs des Andes sertissaient ce lac de la taille d’une mer, berceau de la civilisation Inca, qui vit naître jadis son premier représentant sur la Isla del Sol, Terre de sacrements et de sacrifices expiatoires.
Dans la lumière bleutée de ce petit matin du bout du monde, un compositeur invisible me laissait assister à l’élaboration inspirée de la mélodie du jour nouveau. Le vent avait amené tous ses instruments. Quelques brebis et trois cochons étaient chargés de préparer la salle de spectacle, d’épousseter la plage de sable fin et de ramasser les livrets délaissés par les spectateurs de la veille.
Le concert du jour pouvait commencer. On n’attendait plus que l’orchestre des pêcheurs et les touristes-danseurs qui joueraient une nouvelle fois, leur éternel et pécunieux ballet.