… qui ne tourne plus rond
Face à l’immensité du paysage où il ne se passe rien,
On ne parvient plus à voir qu’un amas, plus ou moins harmonieux, de minéral, de végétal et d’animal,
Une immensité inerte dans laquelle se dissimule parfois un peu de vie.
Prenons conscience de notre cécité.
De cet empressement à voir, qui nous fait souvent consommer le monde, inexprimable dans sa lenteur à se livrer, comme un film qui devrait nous apporter notre lot de sensationnel.
Mais le monde ne se livre pas. Il se contente patiemment, de nous voir passer, toujours trop empressés.
Il n’est pas une pizza, une vidéo en format court, un bouquin pas trop épais ou un prétexte à selfie.
Le monde nous observe avec une discrétion infinie, nous agiter, œuvrer, engouffrer tout ce que l’on peut pour nous croire vivants.
Il nous laisse l’exploiter et le détruire, sans doute médusé par notre boulimie, sur notre radeau d’argent qui coule et de temps à tuer.
Il nous contemple, à son tour, en train de nous nous échiner à produire et acquérir des biens qui deviendront nos maux.
N’accordant à un paysage magnifique que quelques poignées de secondes durant lesquelles nous nous extasions à la va-vite, sans toujours consacrer un soupçon d’attention à ce qui se livre sous nos yeux, sans comprendre que ce qui se joue est un minuscule instant suspendu au creux de l’éternité, le résultat d’une concrétion prodigieuse et millénaire d’un ensemble de causes et d’effets, que nous résumons en parlant de point de vue, mais qui n’est qu’un tableau fugace, un simple clin d’œil chapardé sur l’étal de l’Univers, nous passons évidemment à côté de l’essentiel.
Quelques secondes de grâce, plus ou moins entrevue, dans la vaste évolution du monde, dans les rapports de force telluriques et la subtile danse de la vie qui furent mis à l’œuvre pour produire cette magie, dans laquelle notre existence restera à jamais imperceptible, et nous repartons vaquer à nos occupations, sans n’avoir rien retenue de la leçon discrète qui s’offrait à nous.
Parfois, face à un panorama qui nous dépasse autant qu’il nous engloutit, persuadés que notre existence est le diapason de cette symphonie du vivant, nous nous émerveillons du silence soudain, du calme retrouvé, de l’absence de bruits humains dont nous avons tellement emplis nos vies.
Mais le silence n’existe pas.
Il faut toute une vie pour entendre le dialogue secret des choses qui s’enchevêtrent,
Qui composent subtilement le vaste et éternel spectacle du vivant.
Si la montagne semble muette, c’est qu’elle ne s’exprime pas à l’aune du temps humain.
Elle nous offre, sans mot dire, cette poignée de sable qu’elle a si lentement produite pour que nous emplissions nos sabliers.
Si la mer semble immuable dans le chant répétitif de ses vagues, c’est qu’elle n’a que faire de nous divertir. Elle besogne dans le long ouvrage des marées, car elle sait le prix de l’obstination, les millions d’années qu’il lui faut pour entamer la falaise, faire choir la roche et aplanir le relief.
Rassurons-nous, il lui en faudra moins pour avaler nos villas de plage, écrouler nos immeubles de bord de mer et nos espoirs de villégiatures bien méritées.
Il faut pactiser avec le calme, déblayer les journées, apprendre l’art difficile du lent tissage du temps, atteindre la sagesse de vieux forestier qui ne voit pas une forêt, mais des décennies de lente pousse.
Les arbres ne montant pas au ciel, celui-ci descend sur eux pour les abreuver de ses bienfaits, de pluie et de lumière, d’ombre et de fraîcheur.
Alors, dans un tacite accord de bon voisinage, is le remercient sans compter en lui offrant de l’oxygène et en constituant un écosystème dont on découvre à peine l’intelligence. Et tout ce qui prend vie, s’inscrit sagement dans ce grand pacte prolifique qui unit le ciel, la terre et les océans.
Nous n’en sommes que la partie la plus bruyante et délétère. De là vient sans doute notre illusion à nous croire seuls et si puissants.
Et pas plus que nous savons écouter, nous ne savons regarder.
Aucune photo instagrammée, aucune attitude hâtive ou braillarde, aucun coup d’œil rapide, aucun regard suintant l’ennui ne pourront jamais comprendre la prodigieuse et éternelle connivence qui se joue sous nos yeux. C’est purement une association de bienfaiteurs qui est à l’œuvre et dont nous sommes les exclus volontaires.
Pourtant, nos maîtres sont innombrables à tenter de nous enseigner la manière de nous y prendre.
Comment ne pas se perdre des heures dans l’espiègle conversation des nuages, ne pas retenir la leçon de légèreté d’une l’hirondelle, ou d’opiniâtreté de l’abeille ? Que dire de la formation des oies sauvages qui nous confient leurs rêves nomades ? Pourquoi sécher le cours de peinture à ciel ouvert que nous livre chaque jour la nature, cette enseignante prolifique qui se tient éloignée de nos villes assourdissantes et aveuglées ?
Et comment faire sa vie, sans la patience que nous enseigne la pierre taciturne, sans la gaité scintillante du ruisseau, ou les cours de tolérance que propose la forêt, afin que nous retenions la seule leçon sur laquelle portera l’examen final : il n’est de richesse que dans la diversité, d’espoir que dans la singularité.
Allez, vous avez quatre heures !
Je vous laisse observer, écouter, apprendre, comprendre et sauver le monde.
Vous verrez, vous aimerez l’école buissonnière !
Ne comptez pas sur moi après pour ramasser les copies.
La vie s’en chargera…
Faites-en plutôt de drôles de cocottes, des origamis rigolos, des avions en papier pour vous enfuir à tire-d’aile et de jolis dessins que vous enverrez en guise de cartes postales.
Bonnes vacances;-)
Du fin fond du Jura face à la montagne, au son des cloches de la belle église du village et des clarines des vaches matinales…j’ai adoré (dans son sens le plus pieux) chaque brin d’herbe, chaque nuage, chaque mouche, chaque rayon de soleil, et chaque trait de pluie….comme tu viens magistralement de nous l’enseigner !
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Du fin fond du Jura face à la montagne, au son des cloches de la belle église du village et des clarines des vaches matinales…j’ai adoré (dans son sens le plus pieux) chaque brin d’herbe, chaque nuage, chaque mouche, chaque rayon de soleil, et chaque trait de pluie….comme tu viens magistralement de nous l’enseigner !
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