Le pouvoir du livre

Comme souvent, je me suis réveillé au beau milieu de la nuit, une idée lancinante m’ayant extirpé du sommeil. Comme à mon habitude, j’ai essayé de deviner l’heure qu’il pouvait être, sans allumer, ni tapoter sur l’écran de mon téléphone. Constatant mon état d’engourdissement et le reliquat de fatigue, j’ai pensé qu’il n’était pas encore deux heures du matin. J’ai alors saisi mon téléphone sur le gros rondin qui servait de table de chevet.

04h04

Les quelques whiskies que j’avais sirotés la veille, en essayant de pondre une chronique qui me donne toujours du fil à retordre, devaient y être pour quelque chose. C’est bien pour cela que les Ecossais ne sont jamais à l’heure. Pas facile de s’extirper des brumes maltées.

Je souris en constatant une nouvelle fois l’affichage de cette heure double. Comme les trois quarts des fois où je prends mon téléphone et tombe sur une heure double : 10h10, 12h12, 16h16, 20h20… ou sur une heure miroir, où les chiffres s’affichent comme si les heures et les minutes se regardaient dans une glace : 02h20, 13h31, 23h32. 

Cela fait des années que ça dure, que cette invraisemblable succession « d’heures parfaites » continue de s’afficher sur mon écran, dès que je me saisis de mon portable. Au début cela me sidérait, m’inquiétait même, mais désormais cela m’amuse et je montre systématiquement l’écran aux gens qui m’accompagnent, après leur avoir expliquer le phénomène, comme pour me dédouaner. Cela avait un peu cessé lorsque j’étais repassé quelques mois en France, mais depuis que j’ai repris mon périple en Afrique, les heures doubles se bousculent et bafouent toutes les règles de probabilité.

« Ce sont des signes que m’envoie l’Univers », m’a-t-on dit, la manière dont mon ange gardien ou mon protecteur céleste se manifeste. J’aime bien l’idée quoique personne ne puisse rien prouver et n’en sache rien, en définitive. Je prends désormais cela comme un signe d’encouragement, comme un clin d’œil de la destinée m’indiquant que je suis sur mon véritable chemin, que je suis là où je dois être et que mes actions sont alignées avec ma vérité intérieure. Il faut bien trouver une explication commode pour vivre avec ce qui semble assez surnaturel et défie la raison.

En consultant mon téléphone, je jetai un œil furtif à ma messagerie. Je m’étais fait piratée trois jours auparavant, ayant eu ensuite un mal fou à la récupérer, avec l’aide de l’assistance technique d’Orange durant toute la matinée. Heureusement que je n’étais pas au fond du désert ou sans la moindre connexion internet. Dans la foulée, les hackers avaient eu accès à mon compte Facebook qui a été suspendu pour vérification d’identité durant 4 jours.

Je regardai donc mes messages avec le naïf espoir de voir un mail du Home Affairs Sud-Africain, les services de l’immigration, qui m’annonceraient qu’ils mettaient fin à mon bannissement après avoir pris connaissance des arguments imparables de mon dossier d’appel. Une pensée me traversa furtivement l’esprit. Je songeai à mon ange gardien qui, plutôt que de jouer avec les heures doubles de mon iPhone, ferait mieux d’intervenir auprès des autorités sud-africaines pour que je finisse en beauté, et tel que je l’envisageais, mon voyage vers Cape Town. Décidément, les anges n’en font qu’à leur tête.

Bien sûr, la messagerie était vide, à l’exception d’un mail de mon éditeur. 

Christophe m’avait demandé si j’avais bien reçu le mail qu’il m’avait envoyé deux jours auparavant d’une dame de quatre-vingt-deux ans qui m’avait écrit chez Nautilus, sa maison d’édition. En raison du piratage, j’avais perdu tous les mails arrivés depuis soixante douze heures. Alors, par curiosité, j’ouvrais le mail qui comportait la copie de la lettre manuscrite envoyé par Colette M. 

Je lus cette lettre de cinq pages d’un seul trait. Il était 4h17 du matin. J’étais sans voix, la gorge serrée et une larme attendait visiblement mon autorisation pour dévaler la pente de ma joue encore ankylosée de sommeil. 

Voilà donc cette lettre magnifique, écrite avec finesse et malice, par une Dame pleine de vie. Je vous partage cette missive qui scintille au beau milieu de la pénombre de mes jours contrariés. Feu d’artifice de mots simples et amicaux qui sont un couronnement pour ces dizaines de milliers de kilomètres et de phrases, parcourus ou écrites, depuis plus de trois années.

Si j’avais besoin d’une seule raison pour poursuivre le voyage et cette drôle de vie pour laquelle j’ai opté, je venais de la recevoir !

Je vous laisse juge…

« 

Monsieur Frédéric Pie,

Je viens de terminer la lecture de votre livre « LIBRE » que j’ai lu en quelques après-midi assise à l’ombre de mon beau magnolia, dans mon jardin.

Merci pour ce beau récit de voyage qui m’a passionnée. Je vous ai suivi et ai parcouru les kilomètres à vos côtés.

Je lis beaucoup de récits de voyage, et avant de partir, de prendre la route, avec l’auteur me procure une carte et je peux suivre le chemin parcouru. J’ai fait les mêmes poses que vous, j’ai imaginé les paysages, ressenti le froid lorsque vous franchissez ces montagnes si hautes !

J’ai ressenti la chaleur du désert, j’ai eu soif avec vous (la différence pour moi, c’est que j’avais le robinet tout près), le ressenti sûrement n’a sûrement pas été le même.

Merci d’avoir regardé cette jolie fleur de pissenlit. Je les regarde très souvent, j’en fais aussi de la gelée (hummm !).

Comme je vous ai envié. J’admire votre courage d’avoir tout laissé. Vous êtes vous trouvez ? Est-ce que quelque chose a changé en vous ?

Qu’est-ce que j’aurais aimé être cachée dans le fond de votre sac et vivre, pas à pas, votre aventure. Je suis sûre, qu’à travers la toile, j’aurais entendu la voix des personnes rencontrées, senti les odeurs. Peut-être, aussi, que le sac aurait eu un petit trou, pour que mes mirettes se remplissent de beaux paysages. Je rêve… Mais il n’y a plus guère que ça de gratuit–alors rêvons !

J’ai aussi, une fois dans ma vie, tout laissé. Nous sommes partis, mon mari et moi, seulement avec deux valises. Nous avions l’intention de vivre loin et nous l’espérions loin des ennuis du quotidien. Malheureusement l’expérience fut de courte durée, mon mari est tombé gravement malade, donc retour.

Je n’ai jamais regretté cette expérience, ce fut le constat de ma force, de ma façon de faire face a l’adversité. Je me suis découverte, et j’ai aussi découvert ce qui y avait beaucoup d’importance à mes yeux. Je n’étais pas partie pour ça, mais ce fut un très beau voyage intérieur, plein de découvertes. Comme je vous l’ai dit plus haut, je lis beaucoup de livres « récits de voyage » car c’est l’auteur qui raconte, qui a fait ses exploits, qui souvent est allé au bout de lui-même. J’ai toujours aimé les « héros », et pour moi les héros de maintenant sont les « gens » comme vous. 

J’aime la façon dont vous parlez de la nature. J’aime énormément les arbres, c’est tellement fabuleux un arbre et je pense aussi que l’on est en train de massacrer toutes ces merveilles. J’apprécie, et je suis toujours émue, lorsque des écrivains comme vous, nous parle de notre nature avec autant de cœur, de sentiments, de douceur et de poésie. J’aime croire et espérer que tout n’est pas perdu.

J’ai une question à vous poser, elle restera sans doute sans réponse. Je suppose que votre temps est compté et précieux, et que les réponses aux courriers de vos lecteurs ne sont pas à l’ordre du jour dans votre emploi du temps.

Tant pis. Je la pose quand même. Tout au long de ma lecture j’ai senti en vous un homme doux, poète, sensible, attentionné aux gens et aux choses.

Pour moi, ce sont les plus grandes qualités que l’on ait pu recevoir. 

Alors enfin la « QUESTION ».

Comment avez-vous fait pendant vos années laborieuses, pour gérer vos affaires et réussir à les mener à bien, avec les qualités que vous possédez.

Probablement que je n’y connais rien en homme d’affaires. Je croyais qu’il fallait être dur, inflexible, etc.… Je me suis trompée, et je suis très heureuse de m’être trompée.

Je vous redis un grand BRAVO pour avoir sauté le pas et être devenu un « cheminot du monde ». Profitez bien des beautés du monde et surtout écrivez-nous encore de beaux livres. Pour que je puisse vous accompagner par la pensée, heureusement pour vous. Je suis une grande bavarde et je vous gênerais dans vos silences et vos réflexions, ou alors j’apprendrais aussi à me taire, médusée et muette devant toutes les merveilles rencontrées. Je compterais les pétales des pissenlits (ça doit bien prendre un petit moment de silence, non ?)

J’espère que vous retrouverez vite Béatriz, l’amour vrai est rare. Il ne faut pas le gaspiller.

Je me permets ce petit conseil car j’ai bientôt 82 ans. Mes trois enfants sont plus âgés que vous. J’ai 8 petits-enfants et 13 arrière petits-enfants.

Malgré toute cette belle et grande famille, j’ai toujours eu envie de voyager, partir avec un sac à dos, encore maintenant.

Même, alors que les inconvénients de l’âge me rattrapent, j’ai beaux essayer de les ignorer, ils sont têtus.

Je fais toujours des balades dans mon beau Jura, mais j’ai l’impression que là aussi la nature change, les côtes deviennent de plus en plus rudes !!  « Changement de climat » sans doute…

Je vous remercie pour ce très beau livre, et vite, vite le prochain.

Vous comprenez, j’en suis sûre, le « vite vite ».

Merci, merci pour tout.

                                                                                   Colette M.

P.S.  J’ose vous envoyer mes amitiés.

Cette lettre a été écrite l’été dernier. J’ose l’envoyer seulement aujourd’hui. Pourquoi ? Je ne le sais pas moi-même. Comme une nécessité. Je suis fâchée avec Internet. »

Devant mettre un terme anticipé à mon voyage africain, je prévois de repasser en France quelques semaines, avant de poursuivre vers l’Amérique Latine où ma moto m’attend pour achever mon voyage Sud-américain et me choisir une terre d’accueil. 

Nul doute que dans la longue liste des gens que je reverrai avec bonheur, il y aura Colette, cette lectrice qui voyage par contumace depuis son beau Jura. Une petite visite surprise est déjà prévue et nous procurera, à tous deux, une jolie source d’émotion, une longue conversation sur le vagabondage, arrosée sans aucun doute par un excellent vin de chez Aviet ou Puffeney. 

Merci Colette ! J’arrive…

Publié par

Entrepreneur, écrivain et globe-trotter. L'homme le plus léger, le plus libre et le plus heureux du monde;-)

8 commentaires sur « Le pouvoir du livre »

  1. Encore un joli texte et une émouvante lettre qui l’accompagne. Merci 🙏
    J’ai remarqué un phénomène de chiffres semblable au tiens avec les doublons. Mais pour moi c’est les deux derniers chiffres de mon année de naissance qui s’affichent en guise de minutes de manière aléatoire et plusieurs fois par jour !
    Et naturellement je ne sais quoi en penser 🧐
    Amitiés
    JPE

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  2. Magie de l’écrit, magie de la poésie… les sentiments naissent, les liens se tissent au gré des paragraphes, les rencontres s’esquissent indépendamment de l’espace. Au fil de tes pérégrinations passent les heures et on se surprend à sourire devant tes mots miroirs. Ta plume chatouille, libère et fait rêver. Chaque post, chaque page tournée, est une délicieuse invitation à parcourir le monde avec tes yeux, avec ta sensibilité. On découvre alors la beauté de la nature, on perçoit celle des hommes et on devine celle de ton âme. Magie des mots, magie de l’esprit… te lire ou t’entendre est un cadeau de la vie. Comme Colette, j’éprouve la même impatience depuis que j’ai refermé ton livre et languis le prochain. Prends bien soin de toi, MA 😉

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  3. Quelle magnifique lettre de cette super Mamy💙🙏💙 Ouii les heures miroirs sont des signes de nos anges gardiens que nous n’écoutons pas toujours 💛🌟💛 Bien dommage que vous ne remontiez pas par la Tanzanie et le Kenya 🌸🌟🌺Bonne route (vous êtes bien guidé ! ) et qu’il en soit ainsi. 🌟🙏🌟J’adooooore vos récits et découvrir plus en détails les pays de cette si belle Afrique Australe.

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