A l’impossible, nul n’est tenu…

A l’impossible, nul n’est tenu…

A l’heure où j’écris ces quelques lignes, j’aurais dû être ailleurs, dans un tout autre lieu que ce toit-terrasse d’un immeuble de Dakar où il va me falloir prendre mon mal en patience et apprendre à décrypter les signes que m’envoie le destin…

J’aurais dû me trouver à 10.000 mètres d’altitude, entre Bamako et Addis-Abeba, avec le soulagement d’arriver demain à l’aube à Johannesburg, pour de longues semaines de découvertes de l’Afrique du Sud.

Mais il m’aura suffi d’une simple rencontre avec l’Institut Pasteur de Dakar, pour que mes espoirs s’envolent, sans moi. Ceux qui me connaissent bien savent que je suis un garçon positif, mais quelle ne fut pas ma surprise de l’entendre au bout du fil par l’entremise d’une charmante voix féminine, parfaitement inconnue, qui me confirma que ma positivité légendaire était décelable dans le test PCR auquel je m’étais soumis, comme c’est d’usage avant de traverser une frontière, fut-elle aérienne ou invisible comme l’est souvent celle qui sépare mes désirs de ma réalité…

Bien sûr, il n’y a pas de fumée sans feu. La semaine dernière, j’ai traversé une vilaine crève durant 4 ou 5 jours, qui avait tout d’un coup de froid dû à un excès de climatisation. Tous les symptômes d’un gros rhume s’enchaînèrent durant le week-end dernier, m’empêchant de prendre le bateau et d’aller me balader en Casamance comme je l’avais prévu initialement…

Cet ultime coup du sort vient ponctuer une série de déconvenues et de désillusions qui ont sérieusement entamé mon enthousiasme naturel et mes projets initiaux quant à ce road-trip qui devait me mener de Dakar à Cape-Town, en solo et en 4×4, en longeant toute la côte occidentale de l’Afrique. Ce projet, un peu fou mais passionnant, s’avère totalement irréalisable après six semaines d’étude et de rencontres sur le terrain.

Le faisceau de difficultés ou de contraintes auquel je fus confronté aurait amené le plus inconscient des aventuriers à jeter l’éponge depuis longtemps. La condition première d’un tel projet repose sur la capacité à acheter un véhicule fiable, en bon état, à un coût raisonnable et à pouvoir l’équiper pour qu’il devienne mon moyen de transport ET ma maison durant les longs mois qui devaient me conduire de Dakar jusqu’en Éthiopie en passant par l’Afrique Australe. 

Première déconvenue à l’issue des deux premières semaines au Sénégal : le prix des véhicules neufs est exorbitant ici (41% de taxe) soit plus cher qu’en France, ce qui a une implication directe sur le prix des véhicules d’occasion. Trouver un véhicule tout terrain, sans électronique, que tout le monde sache plus ou moins réparer sur le parcours et qui ait prouvé sa résistance en Afrique, conduit forcément à se mettre en quête du Graal : un Toyota Landcruiser ou Prado. On oublie ici le mythique Land Rover Defender, totalement exotique en Afrique de l’Ouest, où les pièces détachées et les expertises mécaniques font défaut. Il me faudra donc attendre l’Afrique australe ou de l’Est pour jouer à Daktari… Les rares Landcruiser qui surgissent sur le marché, que tout le monde s’arrache, se revendent rapidement et à des prix excessifs, sans aucune garantie du sérieux des entretiens passés ou des réparations souvent bien camouflées. Je ne suis pas prêt à acquérir un Toyota de plus de 10 ans d’âge et 340.000 km (de pistes africaines;-), en dépensant l’équivalent de 28.000 €, avant même de pouvoir l’équiper pour « vivre dedans » … 

Outre le problème du moyen de locomotion, voyager par la route en temps de covid s’avère un casse-tête inextricable dès lors que l’on renonce à sa liberté initiale (le 4×4 devenant une servitude autant qu’un instrument de liberté) … Voyager en Afrique sans avoir de véhicule est tout bonnement impossible (absence de transports collectifs, d’informations et d’infrastructures routières dignes de ce nom). Le coût et les complications administratives et douanières à chaque frontière sont dissuasives. Certaines frontières comme le Togo, le Ghana sont tout bonnement fermées. Les aspects sécuritaires ne sont pas à négliger. Il faut tracer un itinéraire loin des pays à éviter absolument ces temps-ci (Mali, Burkina-Faso, Niger ou Nigeria dans une moindre mesure…), à moins de vouloir finir au journal de 20h, entouré d’une bande de nouveaux amis, un tantinet chatouilleux sur l’idée de tolérance et d’hospitalité… Chacun a le droit de rêver de son propre quart d’heure de célébrité, n’est-ce pas ? 

Mais ce sera sans l’aide des autorités diplomatiques française. Depuis mon e-mail envoyé à mon arrivée à l’Ambassade de France et au consulat, les informant de mon projet de voyage et demandant à rencontrer « un humain » pour obtenir conseils et informations, voir des recommandations dans chaque pays où je comptais me rendre : pas de son, pas d’image ! Lettre morte de la part de ma propre Ambassade. Fin de non-recevoir de leur part et prise de conscience, en ce qui me concerne, du cauchemar ambulant que je représente à leurs yeux.

Merci de bien vouloir les informer de mon départ prochain, afin qu’ils ressortent du placard ouaté et insonorisé dans lequel il se sont auto-enfermés visiblement… Je savais depuis longtemps que j’étais seul au monde, j’en ai désormais la preuve, silencieusement énoncée avec diplomatie française 😉

En conclusion, et malgré ce dernier contretemps qui m’oblige à demeurer à Dakar plus que de raison, je jette l’éponge sans la moindre émotion sur ce projet consistant à traverser l’Afrique de l’Ouest pour rejoindre l’Afrique australe. Mon véritable voyage commencera sans doute là-bas. Ce sera une confrontation avec une toute autre Afrique et des paysages encore plus envoûtants. Je regrette un peu ces trop longues semaines passées au Sénégal, mais il fallait bien cela pour s’acclimater à ce continent déroutant, se remettre dans la peau du gitan qui avait fini par se ramollir à trop demeurer confortablement confiné en France, pour se confronter aussi à la réalité du terrain, rencontrer des dizaines de personnes, se faire une idée concrète des contraintes de mon rêve initial. 

Alors, en ces temps où j’hésite, tâtonne et trébuche, je puise le réconfort, la patience et l’envie de continuer, dans les mots de Christian Bobin qui, une fois de plus, me servent de boussole, de sablier et de gri-gri pour la suite !

« La plupart hésitent, tâtonnent, trébuchent. Ils cherchent dans les livres, ils cherchent auprès d’une femme, ils cherchent auprès d’un dieu, partout ils cherchent ce qui n’est qu’en eux-mêmes, cette alliance de lenteur et de force, cette cadence la plus profonde du coeur, ce mélange le plus secret de l’eau avec le vin, l’eau de la lenteur, le vin de la vitesse. » 

Christian Bobin (L’autre visage).

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Entrepreneur, écrivain et globe-trotter. L'homme le plus léger, le plus libre et le plus heureux du monde;-)

11 commentaires sur « A l’impossible, nul n’est tenu… »

  1. Courage ami voyageur. Mettre un peu d’eau dans son vin cela ne peut effrayer un globe-trotter, fût-il abreuvé aux meilleurs crus… En Af’Sud tu te rattraperas à Franschhoek. C’est presque comme à la maison…

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  2. salut mon ami… je pense fort à toi… moi aussi j’ai eu 5 jours pénibles la semaine dernière et je pense, à te lire, l’avoir chopé aussi… je croyais que le symptôme premier était la perte du goût… pas pour moi en tout cas.
    Bref… ne perds pas ton bon sens (celui de l’orientation) ni ton sens de l’humour… la vie, comme le voyage en font des atouts indispensables pour bien jouir du chemin parcouru… où qu’il mène.
    Voyager librement c’est aussi se perdre un peu parfois… voilà un bon sujet à cogiter.

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    1. Retape-toi bien aussi… l’important est surtout de ne jamais perdre ce qui fait de nous des gentlemen: le bon goût;-) et puis on a trop de flair pour perdre l’odorat… 😉

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      1. il y a en toi tant de noblesse que tu en serais presque anachronique. Pas une noblesse de caste… non… plutôt celle de l’âme, celle qui conjugue l’éthique et l’esthétique, celle qui te rend capable de sourire de tes petites et de tes grandes misères, celle qui fait de toi un homme universel, un homme sans frontières… un être complet qui force mon admiration. Je pense à toi

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  3. Certainement le destin, oui, ta bonne étoile qui te rappelle à la raison pour éviter de partir tête baissee. L’Afrique est un continent dur et sauvage dans lequel aucun de nos repères, aucune de nos habitudes se retrouvent. Difficile. Et pourtant très très attachant. Prends soin de toi, surtout, prend le temps et là, tu l’as constaté, tu nous m’as écrit, prendre son temps est la règle numéro 1 ou presque. Et voyage en saut de puce. C’est mieux ! Chloe

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